Papa a le dos bloqué et maman s'est empiergé dans le chien et est tombée dans la nuit. Résultat, personne n'a bien dormi et tout le monde est énervé alors que les vendanges avancent à grand pas: dès ce soir des vendangeurs arrivent chez nous alors que nous n'avons toujours pas de dates définitives pour les vendanges, une réunion est prévue dans la matinée à la Coopérative du Mont-Aimé où maman se rend en tant que vice-présidente. Papa doit y emmener des prélèvements de nos vignes avec son réfractomètre pour qu'on puisse faire une estimation globale, or, cette année le degré est très hétérogène.

Je me précipite pour aller aider papa qui porte des chaises de jardin en lui disant qu'il ne devrait pas faire ça seul. Je prends le relai et emmène les lots de chaises près de l'ancien local cathé du curé, j’ouvre la porte du local et je mets mon premier mon lot de chaises que je dispose à l'intérieur en laissant un peu de place pour le prochain, je me dirige pour aller prendre le suivant, ça pèse son poids ces chaises de jardin une fois empilé par quatre, je les transporte à l'intérieur et au moment où j'entre, je sens ma main s’érafler contre ce que je pense être la poignée.

Je penche la tête et regarde plus attentivement, je ne reconnais pas la poignée et je ne comprends pas exactement, tout ce que je vois c'est une partie de la peau en charpie avec quelque chose à l'intérieur, je me recul un peu et lâche les chaises: un des carreaux de la porte brisée venait de me transpercer l'index gauche et j'ai commencé à voir le sang gésir.

Quel con.

D’un pas vif je marche vers le garage, je vois papa et lui explique qu’il ne faut pas qu’il s’énerve et je montre mon doigt, le sang coule à grosses gouttes. On se regarde comme deux ahuris et il m’ouvre la boîte à pharmacie qui était sur une table du garage, il me sort le nécessaire pour que je me fasse un bandage. Pendant qu’il contacte une infirmière, je compose le numéro du médecin de campagne. ce dernier est en congé, papa m’invite à composer le 15. Après une auto évaluation de la situation avec là standardiste elle conclut qu'il faut m'emmener aux urgences afin qu'un médecin puisse me prendre en charge.

Mon papa annule la prise de prélèvements dans les vignes et me dit de sauter dans la voiture: Direction L'hôpital d'Auban Moët à Épernay. Pour ne pas inquiéter maman, on évite soigneusement de passer devant la coopérative, leur immense fenêtre donne directement sur la route.

Sur le trajet, l'ami Régis téléphone, ce n'était pas vraiment le bon moment. On décline l'appel et mettons en silencieux nos téléphones. Je juge du regard mon bandage, il tient et le sang ne coule pas plus, je me demande si j'ai trop serré ou non. N'ayant pas trop mal, je télécharge l'application Ameli, la sécurité sociale, pour obtenir mon attestation d'assurance et ma carte de tiers payant. Cette dernière semble être annulée par ma mutuelle, je vais devoir les secouer pour qu'ils me l'activent. J'en profite pour prévenir ma femme que je ne pourrais peut être pas trop bavarder avec elle par téléphone aujourd'hui et qu'il ne faut pas qu'elle panique suite à ma coupure, je souhaite la rassurer le plus possible en restant transparent. Je lui épargne les photos de quand j'étais en train de faire mon pansement avec la table pleine de sang.

Je réalise le temps que je fais perdre avec ma connerie et sanglote un "désolé", papa me répond que ce n'est pas de ma faute, la vitre aurait dû être condamnée depuis longtemps.

Papa se gare au parking et on marche vers l'entrée des urgences, on marche derrière la chapelle Auban Moët, tout est goudronné sans trottoir, ce n'est pas pensé pour être piéton. On arrive à l'entrée des urgences où il n'y a personne pour nous accueillir. La porte du secrétariat est ouverte, on y passe notre tête pour demander ce qu'on doit faire: "patientez"... AH... bon... Bah... on s'assoit dans la salle d'attente, la télévision diffuse CNEWS, quelle joie... Amputez moi le doigt si il faut, mais pas cette chaîne de merde. On bavarde des dernières brèves qu'on pioche sur nos téléphones et on voit une dame, dans les soixante dix ans, avancer vers l'accueil et elle s'adresse à quelqu'un, elle va être prise en charge dans la minute. On se regarde avec mon père, interloqué: "y'avait personne ?". Je me lève et me positionne derrière cette personne dirige vers l'accueil, une infirmière était présente. Elle m'explique que si il n'y a personne, il faut appuyer sur la sonnette qui se trouve sur le côté... Je vois effectivement le gros bouton rouge, inloupable, la police d'écriture "sonnette" est toutefois très petite.

J'explique ma situation et l'infirmière me dit que je vais être pris en charge rapidement, un sas sur le côté s'ouvre et une autre infirmière me dit de me diriger à l'intérieur. J'explique à papa qu'il peut retourner à Bergères et que je lui téléphonerai quand je serai sorti, on s'accorde et il peut justement aller à Oiry pour acheter des Épinettes.

💡
Épinettes: petits sécateurs de vendanges

J'avance dans un couloir et sur le côté droit je vois plusieurs blocs ouverts, on me dit d'entrer dans l'un d'eux et de m'installer sur le brancard. On me demande si c'était pendant des heures de travail, si je suis à jour sur mon vaccin antitétanique, si la vitre qui m'a coupé était souillée, etc.

Une médecin prend le relai et examine ma plaie, ouverte en Y. Elle me demande à nouveau pour mon vaccin antitétanique et j'explique que j'avais oublié de faire le rappel en 2015 étant en Corée du Sud, je ne l'ai fait qu'en 2021 après celui contre le COVID. Elle est surprise du fait que je sois resté en Corée et me demande les raisons, je réponds que j'y étudiais et que j'ai ensuite travaillé. La médecin me dit que sa famille est Coréenne.

L'interne me fait faire quelques mouvements de l'index, cela semble rassurant, je peux faire le signe OK ou écarter complètement les doigts. Les ligaments ne semblent pas touchés, elle m'envoie tout de même faire une radio pour vérifier qu'il n'y a pas d'éclats de verre ni d'os touché. Je me lève et elle m'accompagne en dehors du bloc, puis me montre le panneau avec les flèches qui indique le service de radiologie. Je me mets à suivre comme dans un jeu de piste les flèche jusqu'à trouver un ascenseur. Au 0 les urgences, -1 radiologie, je presse le bouton correspondant au service que je veux atteindre et presse ensuite le bouton de fermeture des portes.

Cela faisait un moment que je sentais la douleur arriver, l'infirmière m'avait demander de juger ma douleur de 0 à 10. J'en avais aucune idée, je ne souffrais pas le martyr, ce n'était pas indolore non plus, mais je n'avais aucune manière d'expliquer la graduation, je dirais un bon 6 ou 7. Mon bandage avait bien tenu jusque là, or il a dû être retiré pour laisser la médecin faire ses observations, le nouveau bandage que j'ai autour du doigt pisse le sang, on pourrait me suivre à la trace, un bien étrange petit Poucet. Le sous sol donne sur un long tunnel qui fait vingt mètre de long, il y a ensuite les flèches qui indiquent à nouveau les différents services, dont celui de radiologie. J'arrive à une intersection où les flèches se contredisent, j'en déduis qu'il me faut demander aux personnes qui tiennent la réception. Elles m'indiquent que je suis bien arrivé, on me tend une fiche avec mes informations que je devrai donner au manipulateur radio, il me suffit désormais d'attendre sur une chaise où on m'appellera. Je m'installe et je prends mon téléphone de la main droite, j'ai d'habitude appétence à lire plein de choses, actualités, essais et réseaux sociaux. Cette fois rien n'arrive à me satisfaire, je vais d'application en application, de fil à un autre, et je n'arrive pas à trouver quoi que ce soit qui m'intéresse, pendant un bref instant je me dis que j'aurais du prendre le steam deck, et je me rends compte de la stupidité de cette pensée: Pourquoi j'aurais pris le temps de prendre une console et comment j'aurais fait pour jouer avec l'index dégommé ? Un homme en blouse blanche me sort de mes pensée en disant mon nom de famille et il prend ma fiche, c'est le manipulateur radio, il me dit qu'il va revenir me chercher d'ici quelques instants, le temps pour lui de préparer la salle. J'acquiesce et je reste un peu en suspend. Je ne connais pas quelqu'un qui est manipulateur radio ? À Épernay ? Cet homme qui a pris ma fiche me dit quelque chose, ses traits de visage, sa carrure. "Aymeric ??" C'est Jérémie, un camarade que je connais depuis la maternelle jusqu'au lycée.

Incroyable.

Il me demande si je vais bien... Je réponds machinalement que oui puis je réfléchis à la situation un peu idiote: Je ne serais pas ici si j'allais si bien que ça. "Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ?" J'explique à nouveau la situation en étant plus familier qu'avec la médecin et l'infirmière , on échange des banalités pendant qu'il m'explique ce que je dois faire. Radiographie à plat, et une vue de 3/4, le tout est assez rapide, je nous souhaite de nous revoir dans de meilleurs circonstances.

Je me perds dans les couloirs en tentant de retourner à l'étage des urgences, après être revenu plusieurs fois sur mes pas, je demande à la réception du service la direction. On m'indique un panneau avec une flèche "Urgences", il n'y avait rien de plus simple, je ne regardais juste pas où il fallait.

Je retrouve le bloc et j'attends que la médecin revienne, depuis ma prise en charge, tout va assez vite, j'ai par contre l'impression d'attendre en permanence et je ne sais pas quoi faire pour m'occuper. Je m'emmerde.

De retour, elle me confirme qu'il n'y a pas d'éclats de verre dans la plaie et que l'os n'a pas été touché, il ne reste plus qu'à recoudre. J'enfile ma main dans une serviette en papier bleu pour "l'opération", elle prépare et injecte ensuite l'anesthésiant à différent points: je dé-tes-te cette petite douleur vive où on sent un liquide traverser quelque chose. Je perds le compte des injections, c'est désagréable.

Arrive maintenant le moment le plus important: Recoudre. L'anesthésie locale n'atténue pas complètement la douleur, on sent le fil s'enfoncer dans la peau à chaque point, c'est plus douloureux que l'injection mais moins désagréable. Le fil qui passe ne provoque pas de douleur. Au bout du troisième point je demande combien il y en aurait, la médecin me répond qu'il y en aurait quatre, peut être cinq.

Je me retrouve donc avec cinq point de suture sur l'index gauche. C'est propre. Elle me tend ma prescription qui inclue des antibiotiques et elle m'indique qu'une infirmière va venir me faire un bandage. Je lui souhaite un bon Chuseok si elle le fête se weekend avec sa famille, malheureusement ils ne seront pas ensemble, et est surprise d'apprendre que Chuseok est ce weekend (La lune de la moisson est le 16 Septembre cette année), elle me demande si je ne connaitrais pas une épicerie coréenne dans le coin, et malheureusement non, je fais mes provisions à Ace Mart en livraison de Paris et je prends le reste à Cortmontreuil.

L'infirmière me fait le bandage et m'explique ce que je dois faire: Changer le bandage tous les jours et ne pas mouiller la plaie pour que ça cicatrise, revenir d'urgence si la couleur n'est pas normale ou si ça dégage une odeur de putréfaction. Je sors des urgences, il est 11h35, les vendanges n'ont pas commencé que j'en ai déjà plein le cul.